On repère de loin Saint-Sulpice-la-Pointe lorsque le soleil dore l’imposant clocher-mur de Notre-Dame qui domine la ville, du haut de ses quarante mètres de briques roses. Une église forteresse proche dans son architecture et son esprit de Notre-Dame du Taur de Toulouse.
L’église Notre Dame
La construction de l’église Notre Dame a donné lieu à des rivalités romanesques entre le XIVe et le XVe siècle entre puissants du royaume.
C’est en effet Gaston Phébus, le flamboyant comte de Foix, suzerain des terres basses de l’Albigeois entre le Tarn et l’Agout, et à qui Aliénor de Comminges, sa cousine, « vendit » Saint-Sulpice, qui commença l’édification du clocher en 1381, jusqu’à sa mort, en 1391.
Le Duc de Berry devenu lieutenant général du Languedoc, mécène fastueux, à qui l’on doit l’un des plus beaux manuscrits enluminés de son temps « les riches heures du duc de Berry », fit arrêter les travaux. Il ne voulait pas que la hauteur des tours dépasse celle du château de Saint-Sulpice.
Les travaux reprirent après sa disgrâce en 1412, et l’église eût la physionomie que nous lui connaissons aujourd’hui, sobre, élégante. Elle sera terminée en 1447.
La nef intérieure s’étant effondrée en 1884, elle fût reconstruite dans le style gothique trois ans plus tard. Au début, le clocher était un efficace donjon de défense pour la bastide qui l’entourait. Celle-ci avait été fondée vers 1241 (signature de la charte en 1247) par Sicard Alaman ami et ministre de Raymond VII, le dernier Comte de Toulouse dont il recueillit les dernières volontés à Millau en 1249.
Le château du Castela
Les guerres religieuses n’ont pas épargné le château du Castela, (construit au XIIIe siècle) aujourd’hui détruit, mais dont les ruines sur la motte castrale ont encore fière allure. Comme un iceberg, c’est sa partie non visible qui est la plus captivante. Les souterrains du Castela forment une série de galeries qui se recoupent, creusées à la main au pic de fer sur une longueur de 142 m et une hauteur moyenne de 1m 90, pouvant atteindre 2 m 50 dans les salles à voûtes arrondies. Un véritable travail de mineur de fond qui aboutit à un ouvrage unique dans le département.
Au XVe siècle, il servit d’atelier de fausse monnaie à Jeanne de Boulogne et d’Auvergne. Remarquable, en parfait état de conservation, il est ouvert à la visite toute l’année.
Jeanne de Boulogne, petite nièce du Comte de Foix, fille de Jean de Boulogne et d’Aliénor de Comminges, fut élevée à la cour de Béarn.
A l’âge de treize ans, elle séduisit, sans l’avoir cherché, le quinquagénaire duc de Berry (oncle du roi Charles VI) qui l’épousa en juin 1389, et l’emmena à Avignon, puis à Paris.
En 1393, au cours du « Bal des ardents », elle sauva la vie du roi Charles VI. Cela ne lui acquit pas pour autant la faveur de la descendance royale. Devenue veuve en1416, remariée à Georges de la Trémoïlle, elle dût fuir ses mauvais traitements et se réfugia à Saint-Sulpice (vers 1418) que Gaston-Phébus lui avait restitué comme dot de mariage.
Assiégée en son château par le Sénéchal de Toulouse sur ordre du roi l’accusant d’être une faussaire, elle ne dût son salut qu’en fuyant au château de Roquecourbe, près de Castres, chez son ami, Jacques II de Bourbon, où elle mourût en 1423.
Au XVIe siècle, les guerres de religion entre catholiques et protestants vont embraser le Midi languedocien. Quoique fortifiée, Saint-Sulpice la catholique est prise plusieurs fois par les protestants.
Elle est au cours des siècles une ville étape.
Elle accueille successivement le roi Louis XIII, (qui dormira à Saint-Sulpice en juin 1622),
l’armée du duc de Vendôme, le maréchal de Bassompierre, et en avril 1814, les troupes du maréchal anglais Wellington, à leur retour de la bataille de Toulouse.
Le pont suspendu
Pendant des siècles, la traversée du Tarn à St-Sulpice se fit par le bac ; le premier pont ne verra le jour qu’en 1824, sous la Restauration. Il fut enfin suivi, 23 ans après, par le pont suspendu sur l’Agout qui parachève ici sa course. Emporté par la crue du 3 mars 1930, qui monta jusqu’à son tablier de bois à une hauteur de 22 mètres, il fut reconstruit l’année suivante, avec un tablier entièrement métallique, supportant une dalle en béton revêtue d’une chaussée en bitume. Il a été rénové récemment en 2000.
Saint-Sulpice a su tirer parti de ce qui fut à certains moments de son histoire une lourde charge : l’entretien d’une garnison. Elle a été pendant longtemps une des capitales françaises de l’Arçonnerie qui survécut même à la chute du second Empire.
Aujourd’hui l’office de tourisme a installé dans ses locaux un écomusée qui témoigne de cette industrie de luxe ainsi qu’un ensemble de vieux outils symbole des métiers d’autrefois. L’autre industrie de Saint-Sulpice, et peut-être même la première, aura été pendant longtemps la brosserie.
À la porte de 3 circuits touristiques : le Pays de Cocagne, la Vallée du Tarn, les Bastides et Vignobles gaillacois, Saint-Sulpice est aussi à la croisée des cultures et de la politique.
Elle a été le berceau du premier Président élu au Parlement européen en 1975, Georges Spénale, dont le buste orne l’entrée de l’hôtel de ville et du parc auquel il a donné son nom. L’autre célébrité du lieu est le professeur Armand Guibert. Une salle entière de l’office de tourisme est consacrée à cette haute figure d’intellectuel à qui la France doit entre autre les premières traductions du Portugais Fernando Pessoa. Mort chez lui en juillet 1990, dans sa maison à Saint-Sulpice, qui a donné son nom à la rue, où il vécut les dernières années de son aventureuse vie, Armand Guibert repose aujourd’hui là où il était né, à Azas.
Armand Guibert : « Poète nomade » et « citoyen du monde » Armand Guibert est né l’année même de la mort de Cézanne, un 11 mars 1906, à Azas, où il fut enterré, à quelques mètres de sa maison natale, anonyme parmi les anonymes, après avoir parcouru l’Europe et l’Afrique et avoir été reconnu par l’intelligentsia de son temps pour ce qu’il était : un grand intellectuel, un citoyen du monde auquel la France, entre autre, doit d’avoir découvert à partir de 1960 Fernando Pessoa, gloire nationale littéraire au Portugal.
Ce fut au point qu’à la mort d’Armand Guibert, son traducteur, le président portugais Mario Soares, envoya un télégramme de condoléances à la famille de cet « illustre intellectuel auquel la culture portugaise sera toujours redevable ».
Armand Guibert n’était en somme un inconnu que pour ses compatriotes tarnais. Fait Chevalier des Arts et Lettres, Chevalier de la légion d’honneur, détenteur de l’ordre militaire de Santiago da Espada, traducteur mais aussi essayiste, il a écrit sur l’espagnol Federico Garcia Lorca, le Portugais Fernando Pessoa et l’Africain Léopold Sedar Senghor… La célébrité ne s’était alors emparée d’aucun de ces trois poètes.
Sedar Senghor, un des pères avec Aimé Césaire de la « négritude », deviendra le président de son pays, le Sénégal, avant de se retirer chez nous en Normandie.
À Tunis, avant la guerre, Armand Guibert, avant d’être mobilisé en 1943 dans le corps des interprètes, publie les introuvables « cahier de la barbarie », qu’on peut voir aujourd’hui à Saint Sulpice, à l’office de tourisme. Le professeur Armand Guibert était lié d’amitié avec Jules Roy, Aragon, et Elsa Triolet, Cocteau, Jean Amrouche, Gide, Mauriac, Paul Valéry, Patrice de La Tour-du-Pin, les poètes anglais Roy Campbell et Rupert Brooke, Montherlant, Albert Camus qui lui écrivit en 1957, à l’annonce de la mort de sa mère.